Bien souvent les bénéfices issus de la vente de l’électricité éolienne ne bénéficient pas aux habitants mais à des investisseurs majoritairement lointains. Le parc citoyen des « Ailes des Crêtes », dans les Ardennes, est conçu dans une autre logique, afin que la richesse du vent reste dans le territoire. Comment ? En proposant aux acteurs locaux et citoyens (riverains, communes, entreprises, particuliers…) d’investir eux-mêmes dans cet outil de production.

Ce projet a été initié par la Communauté de communes des Crêtes Préardennaises et l’ALE 08 (Agence Locale de l’Énergie et du Climat), une association dont les membres sont des collectivités locales, des entreprises, des particuliers… toute personne physique ou morale qui souhaite contribuer localement à la transition énergétique.

L’étape « développement » (*) a été assurée par la Énéole, société par actions simplifiée en activité depuis 10 ans, basée dans la région et spécialisée dans le secteur d’activité de la production d’électricité. L’investissement pour 3 éoliennes est de 3,5 M€. Les citoyens de la Région Champagne-Ardenne sont tous investisseurs « passifs » via des parts prises par le Conseil Régional dans la société d’exploitation (**).

Ils peuvent aussi devenir investisseurs volontairement par plusieurs canaux :

• en prenant des parts sociales (à rendement selon résultats) dans la société Les Ailes des Crêtes et/ou dans la société L’Eolienne des Enfants (l’une des 3 éoliennes est en effet réservée à des investissements souscrits par ou pour des enfants.) Cette prise de parts peut se faire soit en direct soit en passant par des clubs d’investisseurs locaux (CIGALES)
• en prenant des parts sociales (à rendement selon résultats) dans Enercoop Ardennes Champagne, qui elle-même investit dans Les Ailes des Crêtes
• en souscrivant des obligations (à rendement fixé au départ) dans Énergie Partagée (fonds d’investissement solidaire agréé Finansol), qui elle aussi investit dans Les Ailes des Crêtes.

Passer par Enercoop ou par Energie Partagée n’empêche pas de flécher son épargne spécifiquement vers ce parc puisque ces 2 structures ont créé des compartiments financiers qui lui sont dédiés.

En mai 2015 les souscriptions par les diverses voies décrites ci-dessus ont atteint 1 000 000 €, soit presque 1/3 du coût total du parc. Il est probable que le recours à l’emprunt sera nécessaire pour boucler le financement mais ce résultat est déjà remarquable.

En fait cette forme de coopératives locales pour produire de l’énergie est très répandue en Allemagne. C’est ce que nous a révélé Michael Feldmann, Directeur de la Régie d’Énergie Éolienne, un développeur basé à La Rochelle : « Il existe des régions dans le nord de l’Allemagne où pratiquement tous les parcs éoliens sont financés par les citoyens. »

On en parle à nos Maires et à nos Présidents d’intercommunalités ?

Pour en savoir plus

Soyez acteur de la transition énergétique !

www.ale08.org/Participez-au-projet-eolien.html

(*) Un « développeur » éolien est une entreprise qui réalise toutes les études préalables à un projet de parc éolien, depuis sa localisation et ses choix techniques, jusqu’à l’obtention du permis de construire (pas garantie, d’où risque financier.)

(**) « Société d’exploitation » désigne la structure qui prend le parc en mains à partir du permis de construire : elle passe les appels d’offre pour sa construction, puis assure la maintenance, et tire ses revenus de la vente de l ‘électricité des éoliennes. L’investissement réalisé par la société d’exploitation comprend non seulement les machines, mais aussi l’achat du permis de construire (pas garanti : risque financier) auprès du développeur (puisqu’il l’a obtenu grâce à son travail d’études préalables.)

A Béganne (Morbihan, sud-ouest de Redon) va se construire l’un des premiers parcs éoliens citoyens de France : 4 éoliennes de 2 MW qui produiront l’équivalent de la consommation d’électricité spécifique de 8 000 foyers (pour un de facteur de charge de 25% et 2,3 personnes par foyer en moyenne en France). Le capital social est détenu majoritairement par 700 particuliers.

Le projet est porté et sera exploité par la société BégaWatts, une structure sociétaire très souple reposant sur les statuts de SAS (Société par Actions Simplifiée). Ses créateurs ont choisi un mode de prise de décision « démocratique » : un actionnaire = une voix , mais sans faire appel au statut coopératif (écarté pour l’instant par rapport aux plafonds de rémunération du capital).

Le projet total s’élève à 11,5 millions d’euros, dont 2,7 millions de fonds propres.

Les actionnaires sont répartis dans quatre collèges, parmi lesquels les citoyens apportent la majorité des fonds propres, à eux seuls 1,9 millions d’euros par l’intermédiaire de deux types d’investissements participatifs :

– pour 0,5 millions d’euros par la société Energie Partagée Investissement (EPI – http://energie-partagee.org/ )

– pour 1,4 millions par des particuliers réunis dans 53 clubs d’investisseurs réunissant chacun 5 à 20 personnes (dans ce cas un club = un actionnaire, représenté par son gérant). Ces clubs sont soit de statuts CIGALES (Club d’Investisseurs pour une Gestion Alternative et Locale de l’Epargne Solidaire – http://www.cigales.asso.fr/), soit de type CIERC (Club d’Investisseurs dans les Energies Renouvelables Citoyennes, dont les statuts ont définis pour la première fois à cette occasion). Avec 700 apporteurs cela fait en moyenne 2 000 euros par personne. Les apporteurs sont en majorité des habitants proches du parc.

Il existe des projets éoliens qui laissent une petite place à l’investissement local. Mais il n’existe actuellement aucun projet associant des centaines de riverains qui détiendraient la majorité du capital social. C’est en ce sens que le parc éolien citoyen de Béganne constitue un événement d’ampleur nationale.

Le projet de Béganne n’est pas seulement financier mais avant tout un projet de réappropriation de l’énergie, de pédagogie sur la production (ex. combien coûtent les énergies renouvelables, comment on construit un parc éolien) et sur les économies d’énergie, en incluant au delà des aspects techniques (isolation, équipements basse consommation) les aspects comportementaux de la consommation d’énergie (éteindre les lampes inutiles, fermer les portes, supprimer les veilles inutiles…). Pour ce faire, le parc éolien finance depuis deux ans un poste d’animateur sur l’efficacité énergétique (payé à terme par la vente d’électricité) à destination des écoles et des particuliers (en priorité les 700 actionnaires)

Finalement, le rassemblement des fonds propres n’aura pas été si difficile que ça. En revanche un autre risque de blocage apparaît aujourd’hui : suite aux remises en cause à répétition et aux incertitudes quant aux tarifs de rachat des énergies renouvelables en France, Triodos (*), la première des trois banques du pool bancaire constitué pour financer le projet, conditionne son soutien en attente des décisions à venir sur le sujet. Les travaux sont donc aussi reportés.

Coup dur lié au manque de visibilité et de garanties sur la politique de la France relative au soutien, ou non ?, aux énergies renouvelables.

Sources :

http://www.eolien-citoyen.fr/accueil-begawatts.html et interview de Michel Leclerc diffusée le 3 novembre dernier sur France Culture

http://www.franceculture.fr/emission-terre-a-terre-energie-partagee-implication-citoyenne-pour-la-transition-energetique-2012-11

( *) banque belge forte de plus vingt ans de financement des énergies renouvelables et citoyennes